Sorcières et féminisme, la place des règles

Sorcière et féminisme

Sorcières d’hier, sorcières d’aujourd’hui : comment sont-elles devenues un symbole de la lutte féministe ?

Enchanteresses, magiciennes, guérisseuses, sages-femmes : c’est ce qu’englobe généralement le terme de « sorcières ». Parce qu’elles ne collaient pas aux codes de leur société ou car elles détenaient simplement certaines connaissances, elles ont longtemps été stigmatisées, voire persécutées. Autrefois victimes de chasses, elles sont aujourd’hui un symbole féministe. Comment s’est opéré ce revirement de situation ? On vous explique dans cet article le lien entre sorcière et féminisme.

Antiquité : des sages respectés

La sorcellerie existerait depuis la Préhistoire ; mais c’est à l’Antiquité qu’on en retrouve les premières traces documentées. Étymologiquement, un sorcier signifie « un diseur de sort ». À l’époque antique, ce terme désignait les guérisseurs et autres enchanteurs. Ces personnages étaient, déjà à cette période, très souvent des femmes. Adeptes de magie blanche ou noire, elles étaient craintes ou du moins, respectées.


De nombreuses références à ces magiciennes apparaissent dans la littérature grecque antique, comme dans la fameuse Odyssée d’Homère. Les mythologies grecques et romaines sont très empreintes de sorcellerie. En effet, les contemporains de l’Antiquité cherchaient une explication magique au monde qui les entourait et aux évènements qui s’y produisaient. Une mauvaise récolte était donc le résultat de la colère de Déméter, déesse grecque de la terre, alors qu’un accouchement heureux symbolisait la protection de Junon, déesse romaine du mariage.


Les magiciennes sont aussi souvent présentes aux côtés des héros de la mythologie. C’est le cas de la Grecque Médée, qui aida Jason à acquérir la toison d’or en lui confectionnant un baume protecteur et en lui offrant une pierre magique.

Renaissance : la chasse aux sorcières

Un héritage médiéval

Contrairement aux idées reçues, la majorité des chasses aux sorcières et des procès qui en ont découlé a eu lieu à la Renaissance. De façon plus globale, la condition des femmes a reculé à partir du 16e siècle. Cependant, le Moyen Âge a largement préparé le terrain de ces persécutions.


Tout d’abord, l’Inquisition qui sévissait à l’époque semble en constituer les prémices. Il s’agissait alors de traquer, de juger et bien souvent de condamner les personnes considérées comme hérétiques (homosexuels, bigames, adultères, sorciers, etc.) afin de les ramener dans le « droit chemin », à savoir la foi chrétienne. Cette persécution s’est par la suite concentrée sur les présumés coupables de sorcellerie.


Au 13e siècle, on a vu aussi l’essor de la démonologie (étude du diable et des démons). Un climat de peur s’est établi à ce moment-là dans la population médiévale et a été largement entretenu par l’Église. Or, les sorcières étaient accusées d’adorer Satan notamment lors de sabbats (prétendues assemblées nocturnes où ont lieu des rituels démoniaques).


Ensuite, les guerres de religion qui ont sévi tout au long du Moyen Âge ont contribué à l’installation d’une ambiance anxiogène. La moindre chose inhabituelle était associée à de la sorcellerie. On se méfiait en particulier des femmes considérées comme des sorcières. À l’époque, ce terme désignait des femmes détentrices de connaissances (fertilité, accouchement, avortement, vertus des plantes, etc.) dont la transmission était exclusivement féminine. C’étaient souvent des personnages d’origine modeste et en marge de la société (célibataires, veuves, sans enfant, âgées). Elles étaient jugées puissantes et donc dangereuses, notamment par les hommes et les ecclésiastiques qui souhaitaient garder la mainmise sur le pouvoir et la médecine.


D’autre part, il existait à cette époque des croyances et des peurs autour des menstruations et du cycle menstruel féminin. Tout d’abord, les contemporains du Moyen Âge imaginaient que beaucoup de femmes souffraient d’hystérie (étymologiquement « maladie de l’utérus »). Cette pathologie était perçue comme diabolique, car elle provoquerait des « humeurs noires » chez les patientes présumées.


De plus, on pensait que le sang des règles empêchait la germination des céréales, faisait mourir les herbes et les fruits, rouillait le fer, rendait enragés les chiens qui en avaient absorbé, etc. Il était considéré comme un poison et un objet de mort. La femme âgée, et donc ménopausée, effrayait encore plus, car on imaginait alors qu’elle ne pouvait plus éliminer son « venin ».


Ces croyances populaires ont entretenu l’ambiance misogyne de l’époque.

La persécution des sorciers

La parution du Malleus Maleficarum à la fin du 15e siècle a marqué le début des chasses aux sorcières à grande ampleur, en Europe et en Amérique du Nord. Il s’agit d’un traité écrit par deux inquisiteurs. Ils y expliquent comment reconnaître une sorcière et comment s’en défendre en cas d’attaque.


À la suite de cette publication, des dizaines de milliers de personnes (hommes, femmes et enfants) ont été dénoncées, arrêtées, jugées arbitrairement par des tribunaux civils et dans la plupart des cas, condamnées à mort. 80 % de ces personnes étaient des femmes. Parmi les procès les plus célèbres, on recense ceux de Salem aux États-Unis, ou encore ceux de Zugarramurdi en Espagne.


En Europe, ces chasses ont duré environ deux siècles, entre le 15e et le 17e. Ce phénomène a diminué avec l’évolution de la société et notamment de la médecine. En France, la sorcellerie a été dépénalisée par l’Édit de juillet 1682. Elle était alors attribuée uniquement à des préjugés et des superstitions et n’était plus considérée comme un crime aux yeux de la justice française.


Depuis quelques années, on assiste à la réhabilitation de certaines personnes jugées coupables de sorcellerie durant cette période de persécution.

21e siècle : la sorcière, icône féministe

À la fin des années 1960 aux États-Unis, les militantes du groupe W.I.T.C.H (Women's International Terrorist Conspiracy from Hell) constituent la première association féministe dont les membres se revendiquent comme sorcières. Leur nom signifie en français Conspiration féministe internationale de l’enfer et leur acronyme se traduit par « sorcière ». On a pu les apercevoir encore récemment lors de manifestations contre Donald Trump ou à l’occasion du mouvement Black Lives Matter.


De manière générale, de plus en plus de femmes se réclament héritières des sorcières de la Renaissance depuis le mouvement #MeToo en 2018. Certaines revêtent même des déguisements lors de rassemblements féministes. Cette réappropriation érige la sorcière en symbole des violences sexistes et sexuelles infligées aux femmes depuis des millénaires.


De nombreuses auteures féministes ont également exploré le sujet. Dans son livre Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet étudie trois types de femmes : la femme indépendante (veuve ou célibataire), la femme sans enfant et la femme âgée. Ces figures, particulièrement visées par les chasses aux sorcières de la Renaissance, sont aujourd’hui encore stigmatisées dans notre société patriarcale. D’où ce parallèle.


Mais au-delà du militantisme féministe, les nouvelles sorcières sont à l’heure actuelle des femmes qui souhaitent exploiter leur puissance et leurs énergies féminines à travers notamment le féminin sacré. Cette notion invite à se reconnecter à des ressources telles que le calme, la sensibilité, la spiritualité, le pouvoir de ressentir les choses, etc. Des caractéristiques féminines considérées comme des faiblesses depuis des millénaires, mais qui sont en réalité source de force. Le féminin sacré implique d’être à l’écoute de son corps, de ses manifestations physiques et émotionnelles. Pour cela, il semble important de connaître et de suivre son cycle menstruel. Les adeptes du féminin sacré ont d’ailleurs l’habitude de découper ce cycle en 4 phases : la vierge, la mère, l’enchanteresse, et… la sorcière.


La relation entre la sorcière et le féminisme est complexe et multifacette. Elle est le résultat de plusieurs centaines d’années d’histoire. À l’heure actuelle, on retiendra que la sorcière est le symbole des violences faites aux femmes et qu’elle invite ces dernières à se reconnecter à leur puissance.

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